REPENSER LE CONSENTEMENT POUR DES VIES SEXUELLES VRAIMENT SATISFAISANTES – EXTRAIT
Demandé par certain.e.s ami.e.s ou membres de mon réseau, voici, comme pour Claire Marin, un extrait choisi du livre de Manon Garcia La conversation des sexes. Philosophie du consentement, CLIMATS, 2011, pp 161-170. Malgré les coupes, j’espère que vous pourrez admirer les références qui ne sont pas que philosophiques ainsi que la clarté et la pertinence du propos. J’espère aussi que cet extrait vous donnera matière à réflexion. En ce qui me concerne, il me semble intéressant pour penser la liberté de choix et donc la responsabilité des dominés dans un environnement qui tend à invisibiliser voire à nier les inégalités et les rapports de pouvoir. Ce type d’analyse peut d’ailleurs être utilisée dans d’autres cadres que celui du patriarcat et peut également servir dans un travail thérapeutique.
“Céder n’est pas consentir” : la critique anthropologique du consentement.
Lorsque l’on fait le constat que les sociétés sont organisées en fonction de dynamiques de domination sociale d’un groupe sur un autre – les hommes sur les femmes ou des capitalistes sur les travailleurs, par exemple – et que l’on essaie de s’en expliquer la permanence, un des points les plus difficiles à élucider est celui de l’origine de cette domination. Alors qu’il est d’usage de voir dans la violence des dominants l’origine de leur pouvoir, on peut identifier une trame explicative depuis le Discours de la servitude volontaire de La Boétie, qui met au centre le comportement des dominés. Appliquée à la question du patriarcat et de sa permanence, elle consiste à dire que la domination masculine ne repose pas sur la violence des hommes mais sur le consentement des femmes à cette domination. […] Selon [l’anthropologue Maurice] Godelier, […] les dominés adhèrent aux idées qui sous-tendent la domination et cette adhésion est la cause de la permanence de la domination.[…] La réfutation, par l’anthropologue Nicole-Claude Mathieu, de cette théorie du consentement des dominés à leur domination donne lieu à une des critiques féministes les plus importantes de la notion de consentement. […] [Son] propos nous permet […] d’arriver aux conclusions suivantes : premièrement, l’hypothèse d’un consentement des dominés à leur domination, comprise comme choix autonome par les dominés de leur domination au nom d’un partage des valeurs des dominants, n’est pas valide. Elle repose sur une ignorance de la dimension psychique de la domination et des effets de la violence lorsqu’elle demeure à l’état de menace. De manière plus générale, les contraintes subies par le psychisme des dominés nécessitent d’utiliser avec précaution le vocabulaire du consentement : il faut comprendre qu’il y a éventuellement un assentiment, mais que cet assentiment n’est pas la manifestation d’une volonté individuelle autonome. Dans de nombreux cas discutés par Mathieu, la situation des femmes est telle qu’il semble impossible de parler véritablement de choix. […] Alors que le consentement apparaissait comme une notion garante de la justice sociale, […] cette notion a été utilisée pour faire apparaître les femmes comme responsables de leur situation opprimée. [C’est donc] une notion ambivalente, à la fois outil possible d’émancipation et instrument de dissimulation et de perpétuation de leur oppression.